Thème expérimental du mois : Pâte brisée, croustillant et consistance
Ce mois-ci, nous explorons quelques interrogations posées anonymement par des pâtissiers professionnels :
le sucre semoule rend-il les pâtes à foncer plus croustillantes ? Le beurre noisette apporte-t-il davantage de densité ? Et le beurre froid, produit-il une pâte plus croustillante ?
Faute de temps pour tout explorer, nous avons décidé de procéder autrement et de concentrer notre attention sur une base essentielle : la pâte brisée.
Distinctions classiques en pâtisserie
Les bons traités de pâtisserie distinguent traditionnellement :
- les pâtes à dresser (utilisées pour les pâtés),
- les pâtes à foncer (tartelettes, tourtes, etc.).
Les pâtes feuilletées mises à part, les pâtes à foncer peuvent être :
- salées
- sucrées
Parmi elles, la pâte brisée se distingue par sa technique : le terme « brisée » renvoie au sablage initial de la farine et du beurre.
Hypothèse mécanique : brisage, gluten et texture
On distingue généralement plusieurs types de pâte brisée (ordinaire, fine, surfine…), mais aucun modèle théorique n’a encore été proposé.
Voici une hypothèse à explorer :
- Le brisage divise le beurre et l’enrobe de particules de farine.
- Lorsqu’on ajoute l’eau, elle s’infiltre entre les grains de beurre farinés, assurant une première cohésion.
- Le travail de la pâte provoque ensuite la formation de réseaux de gluten. Plus la pâte est travaillée, plus ce réseau se développe jusqu’à la percolation, c’est-à-dire la création d’un maillage glutenique continu dans toute la pâte.
D’où une question : une pâte très travaillée est-elle plus dure qu’une pâte peu travaillée ?
Expérimentation : effet du beurre froid et chaud
Pour répondre, nous avons comparé deux variables : le temps de travail de la pâte, et la température du beurre.
Recette de base :
- 250 g de farine (T55 Cœur de Savoie)
- 125 g de beurre doux 82 % MG (Sélection du quotidien)
- 90 g d’eau (du robinet)
1. Pâtes avec beurre froid (2 °C)
- Mélange rapide de la farine et du beurre froid jusqu’à obtention d’un sable grossier.
- Ajout de l’eau (90 g) et pétrissage minimal pour obtenir une pâte homogène.
- Division en deux :
- Pâte P1 : pâte standard peu travaillée.
- Pâte P2 : même pâte, mais longuement travaillée.
2. Pâtes avec beurre chaud (beurre noisette)
- Beurre fondu dans une casserole jusqu’à coloration.
- Ajout en une fois sur 250 g de farine.
- Mélange rapide : pâte immédiatement cohérente, plus jaune.
- Seulement 21 g d’eau nécessaires pour obtenir une pâte souple.
Nous avons décidé de diviser cette pâte en deux et d’ajouter 10 g d’eau supplémentaire dans une moitié, de sorte que nous avons eu finalement quatre échantillons :
- Pâte P1 : pâte brisée standard
- Pâte P2 : la même que P1 mais beaucoup plus travaillée
- Pâte P3 : pâte avec beurre fondu et très peu d’eau
- Pâte P4 : la même que P3, mais avec plus d’eau
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Procédure de cuisson

Les quatre pâtes ont été abaissées à la même épaisseur à l’aide d’un rouleau guidé par des réglettes, sur un plan de travail fariné. Chaque pâte abaissée a été divisée en deux, et les échantillons ont été répartis sur deux plaques à pâtisserie. Chaque plaque comportait donc les quatre échantillons.
Les plaques ont été cuites ensemble dans un même four préchauffé à 180 °C, l’une placée en bas du four, l’autre en haut.
Observations visuelles
- Des boursouflures sont apparues sur les pâtes P1 et P4 sur les deux plaques, avec un gonflement plus prononcé sur la plaque inférieure.
- Après 25 minutes de cuisson :
- P1 et P2 : légèrement feuilletées ; P2 plus dense que P1.
- P3 et P4 : friables, sablées, non feuilletées.
- Toutes les pâtes avaient la même couleur.
Analyse au couteau et à la dégustation

La coupe au couteau a révélé des différences nettes entre les lots :
- P1 vs P2 : différence visible de densité.
- P3 vs P4 : différences aussi visibles, mais moins nettes.
Cependant, des tests triangulaires à la dégustation n’ont pas confirmé toutes les distinctions visuelles :
- P1 : la plus feuilletée visuellement, croustillante en bouche.
- P2 : plus dense et moins feuilletée visuellement, mais sensoriellement similaire à P1 ; jugée croquante.
- P1 et P2 : distinctes des pâtes P3 et P4 visuellement et sensoriellement.
- P3 : friable, sablée.
- P4 : également friable et sablée, sans différence notable avec P3.
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Conclusion pratique
L’ensemble de ces résultats confirme l’importance d’adapter la technique au résultat recherché :
- Beurre froid + peu de travail → pâte feuilletée et croustillante
- Beurre froid + travail prolongé → pâte croquante
- Beurre chaud → pâte sablée et friable
Ces données serviront de base à nos prochaines expérimentations, qui intégreront d’autres paramètres (type de farine, sucrage, taux d’hydratation, etc.).
Les noms des pâtissiers à l’origine des questions sont conservés confidentiels.