Séminaire de gastronomie moléculaire - Mai 2025

Lycée Guillaume Tirel (Paris) par Hervé This

Art culinaire Pâtisserie Sciences Expérimentations

mardi 27 mai 2025, par Laurent Nadiras

Hervé This

Hervé This, directeur du Centre international de gastronomie moléculaire et physique AgroParisTech-INRAE nous partage le programme de la 25e année des séminaires de gastronomie moléculaire organisé par le Centre international de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), sous le haut patronage de l’Académie d’agriculture de France, au Lycée Guillaume Tirel (Paris). (Voir le site du lycée dans la carte des établissements de la filière de formation).

Le lycée des métiers de l’hôtellerie Guillaume-Tirel a noué un partenariat avec l’ENS AAMA (École Nationale Supérieure des Arts Appliqués et des Métiers d’Art).
Ainsi est né « Le Laboratoire ».


"Le sucre semoule fait-il des pâtes à foncer plus croustillantes ? Les pâtes à foncer avec du beurre noisette seraient-elles vraiment plus denses ? Et le beurre froid dans une pâte à foncer (avec farine et beurre) fait-il des pâtes plus croustillantes ? ."

Dans ce compte rendu :

1. Les comptes rendus de ces séminaires sont en ligne
2. Travaux du mois : le croustillant des pâtes à foncer
3. Points divers
4. Acclimatation de la « cuisine note à note »
5. Pour mémoire, ce que sont ces séminaires

  • Annexe : d’autres précisions culinaires à tester

Thème expérimental du mois : Pâte brisée, croustillant et consistance

Ce mois-ci, nous explorons quelques interrogations posées anonymement par des pâtissiers professionnels :

le sucre semoule rend-il les pâtes à foncer plus croustillantes ? Le beurre noisette apporte-t-il davantage de densité ? Et le beurre froid, produit-il une pâte plus croustillante ?

Faute de temps pour tout explorer, nous avons décidé de procéder autrement et de concentrer notre attention sur une base essentielle : la pâte brisée.

Distinctions classiques en pâtisserie

Les bons traités de pâtisserie distinguent traditionnellement :

  • les pâtes à dresser (utilisées pour les pâtés),
  • les pâtes à foncer (tartelettes, tourtes, etc.).

Les pâtes feuilletées mises à part, les pâtes à foncer peuvent être :

  • salées
  • sucrées

Parmi elles, la pâte brisée se distingue par sa technique : le terme « brisée » renvoie au sablage initial de la farine et du beurre.

Hypothèse mécanique : brisage, gluten et texture

On distingue généralement plusieurs types de pâte brisée (ordinaire, fine, surfine…), mais aucun modèle théorique n’a encore été proposé.

Voici une hypothèse à explorer :

  • Le brisage divise le beurre et l’enrobe de particules de farine.
  • Lorsqu’on ajoute l’eau, elle s’infiltre entre les grains de beurre farinés, assurant une première cohésion.
  • Le travail de la pâte provoque ensuite la formation de réseaux de gluten. Plus la pâte est travaillée, plus ce réseau se développe jusqu’à la percolation, c’est-à-dire la création d’un maillage glutenique continu dans toute la pâte.

D’où une question : une pâte très travaillée est-elle plus dure qu’une pâte peu travaillée ?

Expérimentation : effet du beurre froid et chaud

Pour répondre, nous avons comparé deux variables : le temps de travail de la pâte, et la température du beurre.

Recette de base :

  • 250 g de farine (T55 Cœur de Savoie)
  • 125 g de beurre doux 82 % MG (Sélection du quotidien)
  • 90 g d’eau (du robinet)

1. Pâtes avec beurre froid (2 °C)

  1. Mélange rapide de la farine et du beurre froid jusqu’à obtention d’un sable grossier.
  2. Ajout de l’eau (90 g) et pétrissage minimal pour obtenir une pâte homogène.
  3. Division en deux :
    • Pâte P1 : pâte standard peu travaillée.
    • Pâte P2 : même pâte, mais longuement travaillée.

2. Pâtes avec beurre chaud (beurre noisette)

  1. Beurre fondu dans une casserole jusqu’à coloration.
  2. Ajout en une fois sur 250 g de farine.
  3. Mélange rapide : pâte immédiatement cohérente, plus jaune.
  4. Seulement 21 g d’eau nécessaires pour obtenir une pâte souple.

Nous avons décidé de diviser cette pâte en deux et d’ajouter 10 g d’eau supplémentaire dans une moitié, de sorte que nous avons eu finalement quatre échantillons :

  • Pâte P1 : pâte brisée standard
  • Pâte P2 : la même que P1 mais beaucoup plus travaillée
  • Pâte P3 : pâte avec beurre fondu et très peu d’eau
  • Pâte P4 : la même que P3, mais avec plus d’eau

Procédure de cuisson

Les quatre pâtes ont été abaissées à la même épaisseur à l’aide d’un rouleau guidé par des réglettes, sur un plan de travail fariné. Chaque pâte abaissée a été divisée en deux, et les échantillons ont été répartis sur deux plaques à pâtisserie. Chaque plaque comportait donc les quatre échantillons.

Les plaques ont été cuites ensemble dans un même four préchauffé à 180 °C, l’une placée en bas du four, l’autre en haut.

Observations visuelles

  • Des boursouflures sont apparues sur les pâtes P1 et P4 sur les deux plaques, avec un gonflement plus prononcé sur la plaque inférieure.
  • Après 25 minutes de cuisson :
    • P1 et P2 : légèrement feuilletées ; P2 plus dense que P1.
    • P3 et P4 : friables, sablées, non feuilletées.
    • Toutes les pâtes avaient la même couleur.

Analyse au couteau et à la dégustation

La coupe au couteau a révélé des différences nettes entre les lots :

  • P1 vs P2 : différence visible de densité.
  • P3 vs P4 : différences aussi visibles, mais moins nettes.

Cependant, des tests triangulaires à la dégustation n’ont pas confirmé toutes les distinctions visuelles :

  • P1 : la plus feuilletée visuellement, croustillante en bouche.
  • P2 : plus dense et moins feuilletée visuellement, mais sensoriellement similaire à P1 ; jugée croquante.
  • P1 et P2 : distinctes des pâtes P3 et P4 visuellement et sensoriellement.
  • P3 : friable, sablée.
  • P4 : également friable et sablée, sans différence notable avec P3.

Conclusion pratique

L’ensemble de ces résultats confirme l’importance d’adapter la technique au résultat recherché :

  • Beurre froid + peu de travail → pâte feuilletée et croustillante
  • Beurre froid + travail prolongé → pâte croquante
  • Beurre chaud → pâte sablée et friable

Ces données serviront de base à nos prochaines expérimentations, qui intégreront d’autres paramètres (type de farine, sucrage, taux d’hydratation, etc.).

Les noms des pâtissiers à l’origine des questions sont conservés confidentiels.

Compte rendu du séminaire de gastronomie moléculaire - Lycée Guillaume Tirel, Paris 21 mai 2025
Organisé par le Centre International de Gastronomie Moléculaire et Physique AgroParisTech-INRAE

A noter que, parfois, nous sommes amenés à changer les rendez-vous et il est bon de s’inscrire sur la liste de distribution qui émet les informations nécessaires : il suffit d’écrire à icmg@agroparistech.fr

Il faut ajouter finalement que ces séminaires sont des rencontres de formation et d’expérimentation publiques et gratuites, avec souvent des possibilités d’assister en visioconférence pour ceux et celles qui sont inscrits. Pour les séances en présentiel, la participation est évidemment gratuite également sur inscription.

N’hésitez pas à diffuser l’information autour de vous.

Vive la chimie (cette science merveilleuse qui ne se confond pas avec ses applications), bien plus qu’hier et bien moins que demain !

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