Guide Champérard 2015

La cuisine de l’essentiel

jeudi 27 novembre 2014, par Serge Raynaud

« La nostalgie vient quand le présent n’est pas à la hauteur des promesses du passé. »

La philososophie du guide Champérard, son ambition, sa témérité parfois, se conjugue dans un double processus qui vise à garder le meilleur de la tradition et le nec plus ultra de l’innovation.
Le monde qui nous entoure bouge entre destruction et autodafé, éclairs de génie sans lendemain et rares tentatives de reconstruction.
Il faut donc savoir être vigilant et ne pas succomber aux—es des (aux prophètes enchanteurs, magiciens frelatés d’un pseudo art de vivre basé sur les ruines d’un monde en déshérence. Sans racines ni fondations, cette gastronomie à la mode sera vite remplacée.
La « pop philosophie » a fait pschitt tout comme la « pop musique », la « pop littérature » et la « pop peinture ». Il en sera de même pour la « pop cuisine » à brève échéance.
Un petit tour à la télé, trois crevettes anémiques dans une assiette, un show dans un salon ... et pschitt. Nous prenons date. Et déjà nous voyons les audiences baisser et le public se lasser.
Certes, la télévision sait parfois révéler celles et ceux qui en comprennent les limites et savent l’utiliser sans en devenir les jouets d’un moment, rapidement oubliés avant d’être les invités nostalgiques d’un Ardisson en tenue parking leur rappelant leur gloire éphémère et passée.

Nous l’affirmons à nouveau, la gastronomie est sûrement trop importante pour être la propriété sans partage du seul cuisinier. Le chef doit savoir transmettre, innover, préserver, et se dévouer au produit. Le palmarès du nouveau Champérard est à J’image de nos engagements.
La mise en avant de Mathieu Pacaud à L’Ambroisie est l’affirmation même que la grande cuisine prend ses sources dans son histoire -dans ce cas, la cuisine du papa- et se déconstruit pour la transformer et de la sorte inventer celle du présent, ce qui donnera des pistes pour demain.
Mais la jeunesse qui n’a pas de grands aînés familiaux sait aussi être triomphante. Voyez Akrame Benallal qui tire tout à la fois des leçons de ses maîtres d’apprentissage pour inventer une cuisine furieusement actuelle qui respecte l’éthique de notre palais : jamais plus de trois saveurs dominantes sinon gare à l’anarchie destructrice du goût !
Voyez Alexandre Couillon qui, dans son Île de Noirmoutier, imagine une fabuleuse cuisine de la mer qui a les mêmes caractéristiques que celle de son copain Akrame.
Nos deux chefs de l’année ont encore un point commun : ils montrent que la grande cuisine peut être raisonnable dans ses prix et qu’elle tend de plus en plus à être accessible au plus grand nombre.
Cette cuisine existentielle est une cuisine de l’essentiel.
D’ailleurs, les Français boycottent de plus en plus les établissements qui pratiquent des prix frôlant l’indécence, 400 euros par tête et parfois beaucoup plus.
Parions aussi sur David Toutain, notre jeune chef de l’année promis à un avenir flamboyant.
Aujourd’hui, la pâtisserie vit une seconde jeunesse et elle est de plus en plus considérée comme un moment déterminant d’un repas.
La Fourchette des Ducs à Obernai ne serait pas La Fourchette des Ducs avec sa note de 19 dans le Champérard sans une discrète et fabuleuse pâtissière : Lucienne Stoeckel. Il était plus que temps de la mettre en avant.
Le luxe sent le parvenu alors que le beau n’est pas une question d’argent. Platon l’affirmait. Même si, pour nous, le plaisir est bien terrestre.
Voilà le sens de la mise en valeur du couple Fassenet à côté de Dôle qui a fait sien l’aphorisme de Brillat-Savarin : « Recevoir quelqu’un, c’est s’occuper de son bonheur tout le temps qu’il passe chez vous. » Ici, c’est mission réussie.
Le Champérard se veut le gardien vigilant, le conservateur éclairé d’une gastronomie qui doit évoluer en sachant préserver ses techniques, en sachant s’ouvrir au monde, sans se perdre en chichiteuses expériences macrobiotiques qui noient le produit dans un déluge de qualificatifs incompréhensibles et de plats microscopiques.
Cette édition, la 33e, est l’expression renouvelée de notre posture. Ce guide n’est pas un annuaire. Mais une sélection. Celle du meilleur possible.
Voilà. Alea jacta est.
Nous vous présentons notre nouvelle production, avec l’espoir de participer à l’évolution et à l’invention d’une nouvelle gastronomie pour un nouvel art de vivre qui correspond à notre temps.
« Dis-moi ce que tu manges et je te dirai qui tu es et à quelle époque tu vis. »
Vous savez tout ce qui est nécessaire pour nous percer à jour, nous conserver, nous l’espérons, votre fidélité, et vous fournir ces petits moments de plaisir gourmand qui font le sel de la vie.
Bonne lecture, et rendez-vous l’an prochain pour de fondamentales « Évolutions-Révolutions ».
Marc de Champérard et Alain Bauer

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