Marie Rouanet vit à Camarès, dans l’Aveyron. Elle a enseigné à Béziers.
Elle a écrit de nombreux ouvrages. Et si elle a connu la consécration littéraire avec des titres comme "Nous les filles", elle a su décrire avec une sensibilité toute particulière, -mais sans jamais cacher la vérité- les dures réalités du quotidien avec ses peines et ses joies, dans des écrits qui font la part belle à la cuisine, au goût et aux sentiments qu’il en découle.

"Mémoires du Goût", "Petit traité romanesque de cuisine" ou encore "La cuisine amoureuse courtoise et occitane" sont des titres de référence.
Une mémoire d’un autre temps.
Une mémoire de notre temps...

Entretiens avec Marie Rouanet

Serge Raynaud : « Tour à tour enseignante, chanteuse, élue, engagée dans divers domaines, écrivain, n’avez-vous pas "zappé" votre vie ? »

Marie Rouanet : « Travailler, prendre part à la vie collective, c’est la moindre des choses pour tout être qui veut vivre au milieu des autres.
J’ai suivi la carrière de l’enseignement en totalité. Pour moi, gagner ma vie dans un métier différent de celui d’écrire fut la garantie de ma liberté.
M’engager dans la lutte pour la langue d’Oc, contre les centrales nucléaires, participer à diverses associations -comme "personne" et non en écrivant- j’ai trouvé cela sain. Il n’y rien de tel que de mettre la main à la pâte, afficher, manifester, distribuer des tracts, être avec le militant de base.
Le mandat électoral, lui aussi, fait partie des actes nécessaires. Quitter ce que l’on écrit pour s’occuper des ordures ménagères ou du plan de circulation, quelle bouffée d’air dans le cerveau !
A côté, en dessus ou dessous, comme l’on veut, il y a la création -des chansons, des livres- , ce travail sur le langage. Je n’y ai pas parlé des autres aspects de ma vie, ni de ma vie familiale, mais tout mon vécu a nourri en profondeur mon écriture (qu’il s’agisse du chant ou de la narration, c’est sur le langage que porte la recherche, ma recherche créatrice). Dire au plus juste ».

SR : « Vous évoquez vos « racines »... »

Marie Rouanet : « Desquelles parle t-on ? De sa lignée ? De son pays ?
Pour ce qui est des miens, j’ai l’orgueil de compter des ancêtres qui furent pauvres et restèrent droits. Je n’oublie jamais de parler de leur rapport à l’argent qui manque, aux duretés du travail, aux maladies qui vidaient leurs maigres économies. J’aime glorifier ces humbles dont je suis issue.
Pour ce qui est du pays d’origine, je me méfie de ce que l’on nomme les « racines ». Quelles sont les racines d’un « beur » ? Un Magreb où il ne reviendra jamais ? Non, les racines s’est de s’atteler à vivre là où on est, en prenant le lieu où l’on se trouve à bras le corps. Je trouve dangereux de rêver d’un pays où l’on ne vit pas ».

SR : « Comment expliquez-vous cette relation privilégiée à la terre ? »

Marie Rouanet : « La terre. Voilà une notion bien vague. Je suis née et j’ai vécu en ville. C’est un territoire comme un autre et qui en vaut un autre. Je n’avais aucun grand parent paysan où aller en vacance. Ma relation avec une terre agricole date de mon mariage. J’étais donc femme faite. Avant, je n’avais jamais tué un poulet.
Et justement, dans ce désir de vivre une réalité et non de l’inventer, j’ai pris pied ici, dans un pays sans vignes et sans mer. J’ai fait sa connaissance. Toute connaissance exige du temps. Il n’est jamais perdu. Je l’ai fréquenté en toutes saisons. J’ai puisé dans ses trésors.
J’en aime la beauté, les prés, les emblavures déployés jusqu’à l’horizon, j’en aime le silence et la solitude. Mais j’aime « en vérité », mesurant sa réalité de modernité, sa charge d’Histoire, ses hommes et leurs drames, leurs joies, la chronique et pas la plus drôle ni la plus gaie. Des cœurs, des destins, des déchirures, des enthousiasmes. Comme partout. Ce qui est autour de moi me renseigne sur le reste du monde...
si je sais bien regarder ».

SR : « Parlons du temps...Celui qui passe et qui se mesure. A-t-on aujourd’hui le temps de cuisiner ? »

Marie Rouanet : « J’ai envie d’éclater de rire. D’abord parce que bien manger au quotidien ne demande pas beaucoup de temps. Ensuite parce que l’humanité des pays riches n’a jamais eu autant de temps de loisirs.
Supprimez votre télévision, et vous verrez surgir des heures disponibles. Dois-je vous préciser que nous n’avons jamais eu la télévision à la maison ? Ni de bruit de fond, une musique par exemple, diffusée en permanence ? Les moments où je fricasse, où je trie, où je jardine sont de paix et de pensée profonde ».

SR : « La cuisine, est-ce de l’amour ? »

Marie Rouanet : « En elle-même non, mais savoir que l’on fait plaisir, que le moment du repas est un moment privilégié pour la famille, pour l’amitié, pour la tendresse amoureuse, cela donne une qualité particulière à la préparation des mets. En ce sens, il y a amour ou amitié ».

SR : « Y a-t-il une « nostalgie » des saveurs, le regret des choses passées ? »

Marie Rouanet : « Il y a la mémoire dans tout acte lié à la table. Je sais que jamais les macaronis au gratin n’auront le goût qu’ils avaient dans mon enfance, que les aubergines farcies de ma mère sont inégalables. Parce que je n’ai plus dix ans et que rien ne me les rendra, parce que derrière les aubergines il y a sa douce tendresse. Mais comment regretter ce qui nous a comblé de joie ? Maintenant, ma chance est de faire la même chose pour les miens ».

SR : « La cuisine de terroir est-elle encore une réalité de notre quotidien ? »

Marie Rouanet : « La réalité, c’est que nous ne nous contentons plus de ce qui fit les délices d’une société où les circuits courts des denrées faisaient la table monotone. Qui offre encore le potage de viande -le nec plus ultra- et la poule farcie pour les jours de fête ? Et la fouace comme dessert de choix ?
Nous sommes devenus difficiles comme des enfants gâtés. Il y a peu de temps, j’ai été invitée à un repas qui se présentait comme de « terroir ». Entrées de crudités et de charcuteries. Bouchées à la reine. Poisson. Faisan à la broche. Fromages. Gâteau géant. Mais :
Les crudités - très jolies par ailleurs avec leur mosaïque de couleurs - venaient du supermarché, le maïs en particulier, transgénique en plus. Certes, elles avaient été préparées et agencées par d’artistes mains.
Charcuteries : de la boucherie essentiellement. Peut-être un peu de pâté maison...
Le poisson était un saumon farci, venu de chez Agrigel. Les bouchées à la reine garnies de ris d’agneau congelés.
Les faisans furent flambés dans la cheminée, mais ils avaient été lâchés la veille de l’ouverture de la chasse. Donc pas plus sauvages qu’une pintade.
Bref, la suite à l’avenant. Même pas de Roquefort dans le plateau de fromage.
Était-ce du terroir ? Oui, d’un certain côté. On peut dire que les éléments de ce repas avaient été exorcisés. Le travail des femmes, la broche gérée par les hommes avaient comme effacé les origines des produits.
On aurait pu croire... »

Propos recueillis par Serge Raynaud, le 15 juin 2006.

Bibliographie de Marie Rouanet :

  • Mémoires du Goût, Albin Michel, 2004
  • Année blanche,Albin Michel., 2003
  • Du côté des hommes, éditions Albin Michel, 2001
  • Dans la douce chair des villes, éditions Payot, 2000
  • Chansons en langue d’Oc, Abbaye de Sylvanès, 2000 (CD)
  • Petites Prières, éditions Desclée de Brouwer, 2000
  • Ballade des jours ordinaires, éditions Payot, 1999
  • Infini de pi, éditions Climats, 1999 (Nouvelle sur l’acquisition du savoir, Collège, Lycée)
  • Chemin de croix des femmes, éditions Desclée de Brouwer, 1998
  • Douze petits mois, éditions Desclée de Brouwer, 1998
  • Paroles de gourmandise, éditions Albin Michel, 1998
  • Quatre temps du silence, éditions Payot, 1998
  • Il a neigé cette nuit, éditions Climats, 1997 (Nouvelles. Lycée)
  • Petit traité romanesque de cuisine, éditions Payot, 1998
  • Qu’a-t-on fait du petit Paul ?, éditions Payot, 1996
  • Bréviaire, éditions Payot, 1994
  • La Marche lente des glaciers, éditions Payot, 1994
  • Je ne dois pas toucher les choses du jardin, éditions Corps 16, 1993
  • Tout jardin est Eden, éditions Climats, 1993
  • Le crin de Florence, éditions Climats, 1992
  • Les enfants du bagne, éditions Payot, 1992
  • Sonatine pour un petit cadavre, éditions Climats, 1992
  • La cuisine amoureuse courtoise et occitane, éditions Loubatière, 1990
  • Nous les filles, éditions Payot, 1990 (Collège, Lycée)
  • Bréviaire, éditions F.Gautier 1987
  • Béziers dans ses vignes, éditions Loubatière, 1986
  • Apollonie, éditions Plon, 1984
  • Dins de patetas rojas, éditions IEO, 1975
  • Occitanie, éditions l’Harmattan, 1971

Dans la même rubrique